mercredi 18 janvier 2012


L’OUVERTURE DES ARCHIVES DE LA SOCIETE DES NATIONS SOUS LA PRESIDENCE DE THANASSIS AGHNIDES

            Les archives de la SDN, pas plus que n’importe quelles autres, n’ont été constituées pour être des archives. Elles sont un sous-produit de l’administration internationale ou, en d’autres termes, le résultat d’une autoproduction d’outillage. C’est à dire que les différents fonds divisionnaires qui les forment, n’ont pas été ordonnés pour la recherche historique, mais bien pour l’information administrative et politique[1]. Vu cette forme inhabituelle des archives de la Société des Nations, une contribution des spécialistes s’avérait nécessaire pour transformer cette masse énorme de papier en instrument utilisable par les scientifiques.

            Dès le début des années 50, la question de l’accessibilité au public de la documentation appartenant aux archives de la Société des Nations se pose avec une acuité croissante, à cause d’une demande de recherches en augmentation. On commence prudemment par autoriser la consultation de quelques documents non confidentiels ou secrets. Puis en 1956, soit dix ans après l’abrogation de la Société des Nations, ces archives font l’objet d’une étude plus attentive et sont regroupées à la Bibliothèque Rockefeller de l’Office des Nations Unies à Genève.
            Les archives ne s’ouvrent alors aux scientifiques qu’après l’étude du « bien-fondé » de chaque demande et après détermination de ce qui peut être communiqué sans préjudice pour les intérêts moraux ou matériels, publics ou privés des certains gouvernements ou individus. Mais à la longue, cette procédure trop compliquée s’avéra intenable.
            C’est alors que soudainement, la « Dotation Carnegie pour la paix internationale » proposa aux Nations Unies en octobre 1965, de financer un projet qui rendrait les archives réellement utilisables pour la recherche. Concrètement elle mettait à disposition une somme de 75 mille dollars pour un projet qui permettrait la simplification des répertoires et des index existants et l’établissement d’une réglementation précise concernant l’accès aux documents de la SDN pour les personnes n’étant pas fonctionnaires des Nations Unies. Un accord intervint à ce sujet en 1965 et le projet put être entrepris dès l’année suivante.

            L’étude des questions de principe fut confiée à un groupe de consultants formé d’anciens hauts fonctionnaires de la Société des Nations et de professeurs d’université. Ce groupe fut réuni pour la première fois par M. Spinelli[2] le 10 juin 1966, avec la participation de MM. Th. Aghnidès, Pablo de Azcarate, Milan Bartos, Goormaghtigh et Adrian Pelt et l’assistance de MM. Field, Siotis et Pérotin. Le groupe, qui devait aussi compter sur la participation de MM. Frederick William Dampier Deakin, J.-B. Duroselle, Jacques Freymond et Edouard de Haller, désigna comme président Th. Aghnidès[3]. Le comité, dont Mlle Constance Rhodes fut secrétaire exécutif à partir de février 1967, étudia, lors de cinq sessions, les recommandations à formuler au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies concernant les règles pour la consultation des documents et l’ouverture des archives. Il s’agissait d’un travail assez délicat, comme le signale Th. Aghnidès : «  la SDN - tout comme l’ONU - n’est pas un centre d’études historiques ou une académie. C’est une organisation politique composée d’Etats souverains jaloux de leur « standing » et chatouilleux. Il n’est donc pas mauvais de prévoir plus d’une porte de sortie, même s’il s’agit d’une porte entrouverte, pour satisfaire les historiens. Half a loaf is better than no bread... »[4]
La réunion inaugurale du groupe de consultants, avec Th. Aghnidès comme président, eut lieu le 10 juin 1966[5].
            Parallèlement, on intervint sur les archives elles-mêmes afin de les rendre utilisables pour la recherche. Pendant trois ans, des spécialistes et des archivistes furent engagés pour trier la documentation et simplifier le système d’indexation. Le but de cette tâche était de réagencer les archives sous une forme qui en facilite la consultation et de permettre, dans toute la mesure du possible, le libre accès aux documents.
            Pour les documents classés comme confidentiels, on décida de charger un groupe de consultants de fournir un avis et, éventuellement, de déclassifier une grande partie des pièces que les chercheurs jusqu’alors, n’avaient pas été autorisés à consulter. P.P. Spinelli proposa entre autres la participation de Th. Aghnidès[6] à ce groupe, qui accepta sans hésiter[7].
           
            L’essentiel du travail fut l’établissement du Répertoire général (en trois volumes) qui permet au chercheur d’embrasser d’un coup d’œil l’ensemble des dossiers produits par telle ou telle unité du Secrétariat ou par un organisme extérieur.
            Le  projet terminé, les archives de la Société des Nations furent réunies avec d’autres fonds d’archives appartenant à la Bibliothèque des Nations Unies (toujours à Genève), ainsi que certaines collections ( photographies, matériel de propagande etc.) avec son Musée, dans le cadre de la « Section des collections historiques - archives de la Société des Nations » (aujourd’hui « Section des archives de la Société des Nations et des collections historiques »), dès le 1er octobre 1969 l’ensemble fut accessible aux scientifiques, chercheurs et étudiants du monde entier.
                                                                                                           
Christos Lampias


[1] Yves Pérotin, Projet concernant les archives de la SDN, Situation actuelle, plan de travail et calendrier provisoire, Genève le 14 octobre 1966, p. 2.
[2] Directeur général des Nations Unies à Genève.
[3] Voir : Christos Lampias, Deux Grecs de la Société des Nations à Genève, Aéridès No 2, Printemps 1996, p.88-89.
[4] Lettre de Th. Aghnidès adressée à J. Siotis le 9 novembre 1966.
[5] Compte-rendu de la Rencontre du Groupe de consultants du 20 juin 1966, Genève, le 29 juin 1966.
[6] Lettre de P.P. Spinelli adressée à Th. Aghnidès le 1er avril 1966.
[7] Lettre de Th. Aghnidès adressée à P.P. Spinelli le 4 avril 1966.

LES PREMIERES EDITIONS GRECQUES A GENEVE
Quand on parle des lettres grecques et des éditions grecques à Genève, il ne faut pas oublier que l’on touche toujours un aspect productif de la création intellectuelle genevoise, et une tradition dont nous pouvons identifier le début avec celui de la Réforme dans cette ville.
C’est assurément comme l’un de ceux qui ont établi les études grecques à Genève que l’on considère le Crétois François Portus, ami proche et collaborateur de Calvin autant que de Théodore de Bèze, qui lors de son passage à Genève se vit proposer par cette cité de s’y installer et d’y enseigner les lettres grecques.
Calvin, écartant même la candidature du grand éditeur humaniste Henri Estienne, présente Portus au Conseil de Genève qui le nomme professeur de grec à l’Académie fondée par Calvin lui-même en 1559.
De l’œuvre que François Portus a laissée comme écrivain, ce qui parut par ses propres soins ou ceux de son fils Emile fut la plupart du temps édité à Genève.
Son premier livre sorti de l’imprimerie est une édition des Hymnes composées par Synésios de Cyrène, évêque de Ptolémaïs, en 1568, chez Henri Estienne. Portus ajouta une traduction latine de l’oeuvre, ainsi qu’une lettre d’introduction en guise de prologue.
Par la suite, en 1569, chez l’imprimeur Jean Crespin, parut son oeuvre « Les maîtres dans l’art de la rhétorique, Aphthonios, Hermogène, C. Longin... » Francisci Porti, Cretensis, opera industriaque illustrati atque expoliti.
La même année, également chez Crespin, furent imprimés les « Géorgiques, Bucoliques et Maximes conservées des auteurs anciens », toujours avec la contribution de François Portus.
Les « Conciones sive Orationes ex Graecis Latinisque historicus », imprimées en 1570 par Henri Estienne, comportent aussi des extraits d’Arrien dans la traduction latine de François Portus.
C’est en 1580 qu’est imprimée pour la première fois à Genève, chez Eustathe Vignon, l’lliade d’Homère, avec une traduction latine de M. Neander et les nombreuses corrections de François Portus. L’Iliade fut à nouveau imprimée en 1609 et en 1629 par Emile Portus, le fils de François, avec sa propre traduction latine et une compilation des commentaires de son père.
François Portus composa aussi plusieurs distiques ou de longs épigrammes élégiaques en grec, qui furent imprimés dans les livres édités alors pour la première fois par certains de ses élèves et de ses amis, ainsi que quelques épitaphes.
Enfin, parmi ses œuvres qui parurent à Genève après sa mort, il faut signaler également le dictionnaire grec-latin, édité en 1562 chez E. Vignon et Jacobus Stoer, ainsi que ses commentaires aux « Odes » de Pindare, en 1583, édités par Jean des Bois (Sylvius).
Parallèlement à la contribution qu’apporta François Portus à la diffusion des lettres grecques dans toute l’Europe centrale, celle des presses genevoises fut déterminante pour l’accomplissement de ce but. Concrètement, nous pouvons nous rapporter à l’édition des tragédies d’Eschyle en 1557 par Henri Estienne, ou à l’édition en 1561, par lui toujours, de l’œuvre de Xénophon en deux tomes, le premier avec le texte grec et des commentaires et le second avec la traduction latine. Pour mener à bien cet ouvrage, la collaboration de François Portus, Conrad Gesner et Joachim Camerarius fut précieuse.
En 1566, Henri Estienne, poursuivant son activité éditoriale relative à des œuvres grecques, publie I’ « Anthologie d’épigrammes divers » qu’avait rassemblés Maximos Planoudis, tandis qu’en 1567 il publie les mémorables « Medicae Ailis Principes », qui contiennent les écrits les plus importants des Grecs, des Romains et des Byzantins, exceptées les oeuvres d’Hippocrate et de Galien.
Par la suite, en 1568 précisément, le dictionnaire grec-latin qui constitue un abrégé du grand dictionnaire grec-latin édité en 1562, paraît chez Jean Crespin.
L’édition du « Trésor de la Langue Grecque » par Henri Estienne en 1572, avec celle de Platon, constitue sa plus grande œuvre dans le domaine de l’édition, ainsi qu’un instrument irremplaçable pour l’étude de la langue grecque.
En 1578 paraît l’édition la plus complète de Platon chez Henri Estienne. Le Platon de Henri Estienne, parmi les oeuvres qu’il publia, est celle qui présente la plus grande perfection artistique.
Il vaut la peine de mentionner comme l’une des dernières éditions grecques de Genève au 16e siècle la réédition du « Banquet des Sophistes » d’Athénée par la maison d’édition de Hiéronyme Commelin, avec des commentaires d’Isaac Casaubon.
La tradition désormais fermement établie de l’édition à Genève d’œuvres composées par des écrivains grecs continue durant la première moitié du 17e siècle.
En 1614, chez Jacobus Stoer, est imprimé un livre d’Emile Portus ayant pour titre: « Dionysii Halicarnassei Antiquitatum Rom. Libri XI ».
En 1618, de nouveau par l’entremise d’Emilios Portos, est publié le dictionnaire de la Souda.
En 1633 paraît à Genève la célèbre - et controversée - confession de foi chrétienne par le patriarche Œcuménique Cyrille Loukaris, fruit d’une collaboration non pas seulement spirituelle mais aussi politique de l’hellénisme avec cette ville.
En 1638 est publiée par Pierre Aubert, en langue grecque parlée, la traduction du Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus Christ, par Maxime de Gallipoli. Cette entreprise put se matérialiser grâce à l’aide du patriarche Œcuménique Cyrille Loukaris, sous l’impulsion de l’ambassadeur hollandais à la Sublime Porte Cornelius Haga et du pasteur suisse Antoine Léger.
Par ce bref examen du 16e et du début du 17e siècle, on observe un vif intérêt du monde intellectuel genevois pour les lettres grecques. Ce sont non seulement les oeuvres des auteurs grecs antiques, mais aussi celles des auteurs modernes, qui furent éditées. De cette manière, et toujours avec le soin et l’amour des humanistes genevois, fut établie une tradition genevoise relative à l’accueil et au développement des lettres grecques qui sera à son apogée avec le courant philhellénique du début du 19e siècle.
Christos Lampias

BIBLIOGRAPHIE
- GUNNAR Hering, Patriarcat Œcuménique et Politique Européenne 1620-1638, Athènes 1992.
- LEGRAND Emile, Bibliographie hellénique, XVIe-XVIIe siècles, Paris 1885-1903.
- MANOUSSAKAS Manoussos, STAIKOS Konstandinos, L’activité éditoriale des Grecs pendant la Renaissance: de l’Italie à Genève, XVe-XVIe siècles, Athènes 1988.
- PAPADOPOULOS Chrysostomos, Cyrille Loukaris, Athènes 1939.